La vie est une vague

Pourquoi personne ne m’a-t-il donc prévenue ?!*

Quand, du haut de mes trois pommes, ma grand-mère me serrait à m’étouffer entre ses deux seins, j’étais absolument Moi, ce Moi qui ne changerait jamais.

Les années ont passé, des années magnifiques, mais je ne le savais pas vraiment.

A mon tour, je suis devenue maman, à mon tour, je suis devenue grand-mère, mais le Moi à l’intérieur de moi n’a jamais changé.

Une vague était née, avait grossi, roulé, voyagé, et d’un seul coup, j’ai vu la plage qui allait m’absorber alors que je venais à peine de prendre conscience que j’étais une vague.

Depuis toujours, je regardais les anciens avec un regard extérieur qui recherchait en eux la jeunesse, la force, la magnificence, sans savoir que l’écume qui sourdait en moi était de la même eau que la leur.

Aujourd’hui, je me trouve face à des miroirs.

Je suis devenue, goutte à goutte, sournoisement, sans m’en douter, l’ancienne que je croyais inatteignable, autre, tellement différente de moi.

Bien sûr, mon pas est encore alerte, mais parfois certaines raideurs quand je me lève collent à mon corps comme un vieux chewing-gum à une semelle.

Bien sûr, j’apprécie encore de magnifiques paysages, mais les lettres font des espèces de taches noires si je n’ai pas de lunettes sur le nez.

Bien sûr, ma peau que je caresse est encore toute douce sous mes doigts, même plus douce comme le parchemin l’est au papier, et pourtant les miroirs me disent qu’elle n’a plus cette jolie tension du ballon qui vient d’être gonflé, mais qui lui aussi, perfidement, perdra peu à peu de son air hautain 😉 .

Et pourtant …

Mon Moi est toujours là.

Cette petite fille qui étouffait du manque d’air et de bonheur dans le giron de sa grand-mère a encore dans les narines l’odeur de la lessive et du ragoût de lapin en train de mijoter que son tablier retenait avec moi.

Je suis la même à l’intérieur mais mon image a changé.

Plus le droit de retrousser ma robe sur mes avant-bras, plus le droit de rouler une mèche de cheveux en suçant mon pouce, plus le droit de me pelotonner n’importe où car le sommeil me gagne.

Ce long chemin parcouru, quand je me retourne, ne m’a rien paru qu’une minute, mais une minute remplie d’un million d’expériences.

C’est Moi cette minute ?

C’est Moi cette vague au sommet de son faîte et qui perd l’équilibre en voulant reculer un peu alors qu’il ne m’est permis que d’avancer ?

C’est moi cette vague magnifique qui tout d’un coup reconnaît la plage qui veut m’échouer ?

J’ai encore tellement à donner, tellement à recevoir, tellement à vivre !

Chaque seconde est une goutte d’eau, un océan, une vie.

Je ne veux plus en perdre une seule.

La grève qui m’accueillera brillera des milles feux de ma joie et de la folie qui vit pour toujours en moi.

Pourquoi personne ne m’a-t-il donc prévenue ?!*

Namasté

* parce qu’il est des évidences qui ne se disent pas.

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