Le chant des Femmes

Venant de la nuit des temps, une plainte lancinante sourd de la gorge de ma fille.

Mon enfant, la chair de ma chair, cette femme forte et fragile à la fois m’offre cet instant d’éternité, cette fusion à un passé ancestral qui pulse dans nos corps.

Comme une vague qui la saisit toute entière, son souffle se fait profond. La vague se creuse et prend de l’ampleur.

Un long gémissement, celui de la première femme, prend forme du tréfonds des âges et monte en amplitude comme le tsunami qui la submerge !

Puis la vague redescend… elle me sourit, et retourne à ses mille petites préparations, listes, valises, consignes, avec le calme d’une déesse de la fécondité.

Cet enfant qu’elle porte comme une évidence la transfigure : elle est la vie qui pulse, la certitude d’une continuité qui ne nous appartient pas.

Les minutes s’égrainent, les vagues se rapprochent. J’ai la modeste tâche de vérifier la régularité, l’accélération.

Elle me rassure ! Petite bonne femme qui porte le monde ! Que donnerais-je pour porter un peu de sa douleur !?

Mais même cette douleur intense lui appartient. Elle l’accepte et la parcourt comme un chemin obligé vers la libération.

Les heures s’écoulent, intenses et magnifiques échanges « entre femelles ».

Son corps s’ouvre en deux pour libérer la Vie.

Mon cœur éclate en mille morceaux, spectatrice impuissante de sa souffrance, pourtant émerveillée et fière de tant de courage, tant de force, tant de sagesse, alors qu’elle n’a pratiquement plus de répit.

Le papa nous rejoint. Je le vois comme un géant. A chaque pic de la vague, elle se suspend à son cou. Il pose les mains sur son bassin. Leurs gestes ressemblent à une danse bien rythmée.

Il la guide dans la douleur, elle se confie à la force qu’il lui transmet. Comme ils sont beaux.

J’ai devant moi l’équilibre du monde, le yin et le yang réunit. Une certitude m’envahit : leur complémentarité renforce le monde. Il ne peut en être autrement. La vie est ombre et lumière, jour et nuit, lune et soleil, Homme et Femme qui enfantent ensemble. Tout le reste n’est qu’illusion.

L’enfant naît avant le jour, une petite fille qui porte en elle déjà la mémoire de toutes les femmes. Petite poupée russe née d’Ève et de nous toutes.

La maman est rayonnante, son visage ne porte que le bonheur. Le papa sourit et veille sur sa couvée, dans une lumineuse évidence.

Je reste émerveillée et sans voix, mais dans mon âme résonne à l’infini le chant des femmes.

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