Les organes des 6 sens

Nous venons au monde avec des visages d’anges, mignons petits nez, yeux tout ronds d’étonnement, lèvres fraîches et roses de plaisir, petites oreilles roulottées prêtes au déploiement, mains potelées et fermées sur des trésors insoupçonnés, petons jolis ménagés par le plus doux des sentiers menant à la vie.

Au fur et à mesure que les jours s’écoulent, nos sens s’étirent comme des tapis sans fin.

Tout recroquevillés sur nos corps, ces organes-antennes font leurs premiers pas. Tout recroquevillés sur nos corps, ils protègent encore pour quelques semaines, quelques mois, une sensibilité exacerbée et nue de tout jugement, tout à priori.

L’intégralité de ce que le corps du nouveau-né perçoit est vraie. En fusion totale dans le ventre maternel, il ne reconnaît pas immédiatement la scission induite par la première inspiration.

Encore plus que la coupure du cordon ombilical le retranche d’un monde de rêve et de douceur, cette première grande goulée d’air introduit en lui un monde extérieur.

Ses perceptions ne sont que sensations. Comme un petit escargot replié dans sa coquille, tout son monde vit à l’intérieur de lui, il n’y a pas encore de frontières, de dedans-dehors.

Puis, petit-à-petit, ses sens se développent. Petit-à-petit, nos sens se développent.

L’odeur du corps maternel est première référence. Vient se greffer la voix du papa reconnaissable entre toutes. Nos paupières clignotent pour découvrir les contours sortis du monde de lumière. La bouche goulue cherche la survie à un bouton de bottine nourricier. Nous ouvrons nos petits poings serrés pour bien vite les refermer sur un doigt-amarre.

Très entourés d’encouragements parentaux et familiaux, nous éclosons tel un coquelicot tout fripé de son bourgeon.

Nos yeux s’écarquillent sur la beauté du monde, nos bouches goûtent mille saveurs quotidiennes jamais identiques, nos oreilles se déploient doucement comme des anémones de mer et nos mains se transforment en ailes de papillons ivres de ne plus savoir où se poser pour découvrir, apprendre, ressentir, dire, vibrer. Nos pieds nous servent de jouets rigolos à portée de bouche pour quelques mois seulement et définissent la limite de ce qu’il y a de plus lointain en ce corps souple sujet à merveilleuses révélations.

Les années passent et nous nous saturons.

Les premières sensations extraordinaires du nouveau-né deviennent habitudes, banalité.

Plus d’émerveillement, ou si peu.

Les sons agressent, dérangent ou couvrent nos propres tortures mentales, la vue ne veut plus voir que la laideur, le goût ne trouve plus la fraîcheur de la nouveauté, nos mains fatiguées de s’être si souvent levées aspirent à ne plus rien faire et nos pieds portent tout le poids de nos attentes vaines.

Les organes des sens des personnes âgées trahissent leur vie et-ou leurs origines. Les paupières tombantes sur les pupilles disent leur lassitude, les nez en aubergine leur goût pour une certaine boisson à la couleur identique (mais attention ! Ce n’est pas une généralité  😉  ). Les pavillons des oreilles racontent leur ouverture au monde et la sociabilité, les mains sont douces, rugueuses ou caleuses selon ce à quoi nous les avons contraintes, mais plus que tout, les lèvres disent l’amertume ou la joie, la gourmandise ou le dégoût, les rires et les colères.

Les cinq sens-voiles cousus à notre corps-caravelle nous poussent à pourfendre les flots à la découverte de nos amériques.

Prenons garde à ce que règne l’harmonie et la beauté des premières heures jusqu’à la dernière.

Prenons garde à ce qu’un trop grand déploiement ne nous coupe pas du ressenti du petit escargot-coquelicot, le sixième sens qui nous accompagne dès la naissance, si ce n’est avant …

Belle navigation !

Namasté

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